“A thin layer of oily rock…” : un talk de Chris Korda
Publié le 12.05.22 — Par Bettina Forderer
Le vendredi 1er octobre 2021, la Station - Gare des Mines accueillait Chris Korda pour un talk suivi d’un live à l’occasion du festival Pagaille. DJ, musicienne, plasticienne et développeuse de logiciels, Korda s’est également fait connaître en créant en 1992 "l'Église de l’Euthanasie”, un faux culte provocateur pronant la réduction volontaire de la population pour le bienfait de l’environnement. L’organisation était basée sur un seul commandement (“Tu ne procréeras point”), complété par 4 préceptes optionnels : l’avortement, le suicide, le cannibalisme et la sodomie. Au cours de la décennie suivante, l’Eglise s’est fait connaître par des actions coup de poing telles que des manifestations portées par des slogans choc (“Save the Planet, Kill Yourself”) et une apparition tapageuse dans le populaire talk-show de Jerry Springer (titre de l’émission : “Je fais partie d’une secte qui prône le suicide”). Son objectif : remettre l’humain face à ses responsabilités, en lui rappelant qu’il est le seul responsable du réchauffement climatique et de l'effondrement des écosystèmes. Et ce bien avant que ces problématiques deviennent “mainstream”.
Chez Korda, l’engagement et la pratique artistique ont toujours été si étroitement entremêlés qu’il est impossible de séparer l’un de l’autre. En parallèle de ses happenings spectaculaires inspirés notamment par le mouvement Dada, elle synthétise ses discours militants dans plusieurs de ses productions électroniques. Ainsi son chef d'œuvre 6 Billion Humans Can’t Be Wrong, sorti en 1999 chez Gigolo, brassait des sujets chers à l’artiste (consumérisme, divertissement de masse, véganisme) dans des paroles déclamées d’une voix détachée sur des productions techno au cordeau. On retrouve encore ces mêmes thématiques dans les lyrics d’Apologize to the future (Perlon, 2020), entrelacées dans des rythmes complexes fabriqués à partir d’un logiciel de composition qu’elle a elle-même conçu. C’est ce dernier disque qu’elle venait présenter à La Station en octobre dernier devant un parterre de danseur·euse·s survolté·e·s, prouvant ainsi qu’il est tout à fait possible de s’enjailler sur des paroles aussi riantes que “Nous sommes les maître·sse·s de notre destin / Est-ce l’extinction ?” quand elles sont servies par des beats ravageurs.
Quelques heures plus tôt, Korda présentait un talk intitulé A THIN LAYER OF OILY ROCK (Is all we’ll we be if we don’t wise up fast) devant un public nettement plus calme. Loin des coups d’éclats des années 90, elle ouvrait son discours par une sorte d’autocritique : “Cela fait maintenant trente ans que je fais ce métier, une grande partie de ce que j'avais prédit s'est produite, et je n'en suis nullement satisfaite. Pour cause, la plupart de mes prédictions étaient très sombres [...] Par exemple, la population a augmenté d’un tiers depuis. Ce que cela signifie, c’est que tout ce à quoi j’ai participé n’a pas vraiment fonctionné. J’ai tenté beaucoup de choses : l’art, la musique, le sarcasme et l’ironie... Au 21ème siècle, je vais donc essayer une nouvelle tactique qui consiste à dire la vérité aux gens, et rien que la vérité.” L’urgence de l’époque appelle un changement de stratégie. Exit l’antihumanisme revendiqué et les provocations d’antan : son exposé prenait la forme d’un hommage aux sciences dures, qu’elle décrivait comme les seules disciplines à même de prédire les conséquences de nos actions délétères sur l'environnement et ainsi de tenter d’inverser la vapeur. L’humanité doit à tout prix devenir plus rationnelle, collaborative et altruiste si elle espère survivre - peut-être en est-il encore temps.
Vous pouvez écouter ci-dessous ce talk à la fois érudit et accessible, dans lequel Korda cite pêle-mêle le physicien Albert Allen Bartlett et le film Blade Runner, le philosophe des sciences Karl Popper et la série télévisée Person of Interest… Avant de reprendre brievement son rôle de Révérende de l'Église de l’Euthanasie pour célébrer une petite messe improvisée, et convertir quelques membres de l’audience en leur faisant prononcer des vœux de non-procréation. Amen !
La retranscription du talk est aussi disponible ici.
Portrait photo de Chris Korda : Nina Raasch
Photos de Pagaille à la Station - Gare des Mines : Alix Hugonnier